Au début du lancement des jeux sur des machines comme le C64 et Amstrad CPC pour lesquelles j’étais un redoutable inconditionnel , je me suis vite aperçu qu’il y avait un nom crédité pour les musiques de jeux qui revenait systématiquement, principalement dans la gameographie d’OCEAN Software. Comme un nom qui collait a la peau de cette société de production de jeux vidéo dont le nom n’est plus à présenter. Je veux bien évidemment parler de Monsieur Jonathan Dunn.
OCEAN Software? Je les avais tous achetés leurs jeux, je pense. Tout était soigné »à l’anglaise ». Grâce surtout à ces packagings luxueux. Je songe à l’instant de celle d’Operation Wolf, ou mieux encore, cette somptueuse pochette de Chase HQ inspirée des blockbusters US des 80’s avec cette Lambo’ Countach yellow criblée de balles et surplombée par une sorte de ténébreux sosie anglais de Charles Bronson, flingue fumant a la main et le tout agrémenté d’ un choix de colorimétrie hyper vendeur. Superbe.
Bref, je m’emballe, c’est pas le sujet, mais on y reviendra tout de même un peu tout a l’heure sur l’aventure OCEAN Software
Voyage a travers le temps
En 1984, les ordinateurs personnels tels que le ZX Spectrum et le Sinclair QL (Quantum Leap) étaient en vogue à cette époque. Ça s’annonçait être de très grandes et très prometteuses machines.
Mais pour le QL, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas créé son buzz des Eighties ; système d’exploitation incomplet, les microdrives peu fiables, etc. Le QL fut un fiasco, une courte histoire, et entraîna la vente de la marque Sinclair à son principal concurrent… l’Amstrad (aaaaah! Et bien voilà !).
Au début de cette même année, la musique informatique, elle, était limitée à des signaux sonores qui faisaient plus penser à des machines médicales complexes dans une salle de radiographie au sein d’un hôpital vétuste qu’à de réelles prouesses sonores pouvant accompagner dignement un jeu sur C64. Quelques mélodies sporadiques aux airs lancinants mais somme toute assez occasionnelles et beaucoup trop redondantes et tortueuses.
Le problème n’était pas tellement les limitations du chipset, mais plutôt que les jeux étaient une production d’homme, et bien trop souvent ces programmeurs avaient très peu de connaissances en matière de compositions musicales.
Rob Hubbard est un compositeur Britannique. C’est lui le principal responsable de ces changements radicaux dans la musique de jeux vidéo. Ce monsieur est un pionnier et un sacré phénomène en la matière à lui tout seul. Une énorme source d’inspiration également pour les nouvelles recrues de développeurs de musiques de jeux tel que J. Dunn. Il a composé et enregistré son premier test de musique de jeu âgé d’à peine 7 ans (à cet âge là j’arrivais seulement à pouvoir faire mes doubles nœuds sur mes Nike Air Epic) ! En gros, son travail a présenté le réel potentiel du Commodore 64 et a permis également de démontrer qu’une musique appropriée pouvait améliorer indéniablement l’expérience de jeu, par exemple en 1985 avec la sortie de Commando (une des k7 qui a subi les plus grosses rotations dans ma collection Amstrad CPC 464 !), Monty on the Run, international karaté (un de mes tout premier jeu toutes catégories confondues) ou encore Crazy Comets, rien que ça !
Bref, là, nous y sommes. Les sociétés de logiciels ont enfin constaté la véritable éclosion de la musique de jeu et celle de véritables Sound Designers.
Programmateurs et graphistes vintage collaborent, se fondent entre eux pour ne faire qu’un, et ces musiciens informatiques s’efforcent enfin de happer le gamer avec des musiques et FX de plus en plus abouties qui resteront encore dans les esprits de jeunes quadragénaires dont je fais partie.
L’un des représentants principaux de ces créations musicales d’outre-temps, celui qui nul doute m’a le plus retourné le cerveau, et celui pour qui je dresse ces lignes, c’est Jonathan Dunn aka J. « Chorïd » Dunn!
Après Imagine, Dunn franchit l’Océan
Après ses études, J.Dunn est entré à l’université et y étudie la technologie de la musique. À l’époque, il a voulu bosser en studio et s’orienter vers l’ingénierie. Mais il était très difficile d’y entrer et avant même d’avoir l’opportunité d’essayer, il s’est rendu compte qu’il pouvait peut-être éventuellement se faire de l’argent en planchant sur la compo de musique pour des jeux électroniques, tout en échangeant des jeux C64 avec ses potes de collège en se faisant appeler « Choroid » Dunn. Parce qu’il trouvait le nom joli. C’est tout.
Toujours cet attrait pour la musique, mais c’est surtout l’ensemble des technologies elles-mêmes qui l’intéressait, et pas forcément la création de musique pour des jeux vidéo a tout prix.
Beaucoup de petites programmations à la maison également, mais finalement peu de succès notables. Il s’est essayé à créer quelques packages, à barboter avec ça et à s’y acharner mais sans vraiment y croire. Dunn a alors perdu espoir dans les programmations et s’est acheminé avec le peu de connaissance de programmation qu’il avait, vers la musique de jeux vidéo pour C64 (la machine de son cœur) mais qui seront transposées en parallèle sur Amstrad CPC, Atari ST et Amiga et Spectrum ZX. Initialement, il a commencé à composer pour des jeux sur une base totalement indépendante. En guise de candidature il envoie quelques démos aux sociétés de logiciels diverses du marché actuel.
EN 1987, il bosse pour IMAGINE software une petite année. Juste le temps de marquer le coup avec des titres comme Guerilla war, The Vindicator et surtout Wec le Man que j’affectionnais tout particulièrement. Mais avant qu’il ait eu l’occasion de planifier d’autres maquettes, on lui a offert un travail à plein temps parmi les rangs de la prestigieuse société fondée par David Ward et Jon Woods : OCEAN Software !
Ocean Software, ce genre de référence qui compte aujourd’hui une petite quinzaine de retro-hits portés sur Amstrad CPC, Amiga, ZX Spectrum, Commodore 64, Atari ST, NES, SNES, Sega Master System pu encore Sega MegaDrive. Bien entendu, avec une offre pareille, il n’a pas hésité à tout laisser de coté afin de se rapprocher de Manchester ou il a résidé pendant deux ans.
OCEAN, c’est une des plus importantes sociétés d’édition en Europe avant d’être rachetée en 1996 par la société française Infogrames que Choroïd rejoint en 1998 jusque fin 2002. Il signe ses dernières salves musicales chez Electronic Arts fin de l’année 2003 avec des jeux qui n’ont pas connu l’émule des cartouches assassines que Dunn nous avait affligées par le passé. Sa dernière création en date devait être Looney Tunes: Back in action sur Gameboy Advance. Sans certitude aucune.
Je dirais que Dunn a marqué au fer brûlant l’univers musical pour jeux vidéo principalement de 1987, jusque 1998 assurément. Après ça, il doit encore avoir des »joyaux perdus » , mais avouons qu’il est possible que certaines doivent m’échapper a l’heure actuelle.
Créations de music-games : MoDunn operandi
Comme bien d’autres compositeurs de sa génération, et en restant fidèlement inspiré par Rob Hubbard, J. « Choroid » Dunn a débuté sur Electrosound 64 de chez Orpheus. Ce genre de programmes de créations musicales qui permettait de réaliser soi-même ses samples. C’était devenu primordial a cette période pour pouvoir prétendre a la composition de jeux commerciaux. Il incorporait un synthé miniature à 2 octaves, 50 voix présélectionnées, 24 batteries et percus, un Pitch Bend et un Auto Trigger.
Bien galère d’utilisation a l’époque (quoique le plus facile à utiliser sans manuel), Electrosound fait partie de ces soft dont certains enfants de 7 ans à l’heure d’aujourd’hui seraient presque capable d’y composer une œuvre de Vangelis en 34 minutes. Electrosound permettait tout de même le stockage de voix à la fois sur bande et disque, et était livré avec un ensemble de tracks en démonstration (assez balèzes) qui pouvait d’emblée très vite dégouter les plus novices de l’époque.
Je dis bien: de l’époque.
Également connu sous le nom de Music Master, Soundmonitor fait également partie des armes de créations de Dunn. Un outil de programmation du SID (puce sonore du C64 a trois voix et très performante ) qu’il affectionne dès sa sortie en 1986.
Par la suite, lorsque Dunn travaille sur un projet original, il commence d’habitude en planifiant des idées de départ sur un synthé Korg M1 et son séquenceur incorporé. Un des claviers numériques les plus vendu au monde qui combine échantillons et synthèse numérique. Parfait pour les compos de Dunn afin d’apporter puissance et réalisme a ses musiques. Mais il préfère utiliser Pro 24 de Steinberg, un logiciel performant comprenant 24 pistes MIDI, un locator, punch-in, patterns, et quantization. D’une manière générale, il préfère bosser avec des ordinateurs, car dans le fond il ne se considère pas comme un grand joueur de synthé. En revanche, très vite, il SAIT essentiellement quel genre de musiques va convenir a une section particulière d’un jeu, il SAIT aussi comment ambiancer et adapter la musique qui correspond le mieux (et ça c’est beau).
Une fois le son adéquat trouvé, il peut travailler les bases et accroître des airs qui ont apparemment pour objectif de posséder les âmes de gamers jusqu’à les fredonner machinalement en l’an 2016 dans une salle d’attente de chez le médecin.
Avec l’arcade, là, ayayaïe, par contre, c’est un peu différent : la musique originale est d’habitude déjà de très bonne facture, Dunn préférera y rester le plus fidèle possible avec les outils dont il dispose (et ça, c’est aussi très beau comme geste). Quand l’entreprise accorde la licence et lui envoie la musique originale, il devient tout a fait difficile pour Dunn & cie de la convertir parce qu’il y a plusieurs parties qu’il ne pourra évidemment jamais reproduire sur une puce à trois canaux .Il essaye donc de faire de son mieux et de faire parler le génie qu’il a en lui.
« Le principal problème avec beaucoup de compositions créées par des gens qui utilisent un ordinateur, c’est que les musiques peuvent sembler répétitives, mais c’est une bonne chose du point de vue où n’importe quelle personne, même sans connaissances théoriques de la musique, puisse arriver a sortir des sons pros. Avec les ordinateurs il y a beaucoup plus d’accent sur les idées plutôt que jouer des compétences. C’est juste les professionnels qui sont effrayés, c’est tout ! » déclare Dunn dans le Magazine British TGM (The Games Machine) en Février 1990.
A cette période, les FX de coups portés dans un beat’em up ressemblent de moins en moins au son que pourrait provoquer le verrouillage d’une ceinture de sécurité dans une bagnole, et les explosions de moins en moins à un morceau de papier kraft qu’on chiffonne nerveusement.
Avec ces moyens d’époque, on va vers un mieux. Je pense à de très bons jeux que j’avais acheté car je ne voulais pas de versions copies comme Dragon ninja ou Barbarian 2 sur Amstrad CPC. On va vers un mieux chez l’ensemble des concepteurs d’ailleurs.
Je pense aussi au thème mystique de Supremacy sur C64 en 1990, et l’OST magnifique de Cybernoïd 2 en 1991, tous deux composés par le Néerlandais Jeroen Tel. Cette sortie de folie, en 1991 qu’est Turrican 2, un jeu selon moi jeu sans failles avec une OST très longue de près de 20 tracks, dévastatrice, oppressante, et amenée de main de maitre par Monsieur Chris Hülsbeck , Midnight Résistance en 1990 par Keith Tinman . Et la liste peux être très longue.
Conversions de musiques originales ou compositions libres ?
Dunn a toujours préféré bosser sur des jeux originaux où il a le plus de liberté, ou alors, mieux, de pouvoir composer sa propre musique. Quelqu’un qui est issu de la composition musicale depuis un certain temps aura bien moins de mal à travailler sur des compos originales. La restriction principale en composant est la mémoire et le temps de traitement. C’est un grand problème sur la ST d’Atari où il peut utiliser des échantillons, mais parfois il n’y a juste pas le temps de traitement nécessaire.
Le premier compositeur de musique de jeux vidéo dont Dunn a rejoué certaines parties ont été Martin Galway, qui est notamment à l’origine des musiques chip tune 8 bits d’Arkanoid, Parallax, Terra Cristal et Wizzball. Plus tard, il utilise une compo du monument Paul Hughes, un monstre incontournable de l’architecture de la programmation de jeux vidéo, encore à l’heure actuelle. Finalement il a commencé à dicter son propre fil conducteur, ‘’sa griffe bien à lui’’, dont la dernière itération a été utilisée dans Total Recall sur C64 (une mini OST tout simplement merveilleuse pour l’époque !).
Les points culminants selon Dunn, et selon moi, Den
En matière de musique de jeux, pour Dunn, ses points culminants évidents sont Platoon sur C64 (je suis assez d’accord) De plus, c’était son premier jet chez OCEAN. Total Recall (une des meilleures car très éclectiques!), et plus tard il y a eu Adams Family sur SNES. (totalement d’accord aussi, la musique apporte carrément un funplay à ce jeu tout de même assez moyen sans être médiocre à mon avis).
Si je devais rajouter des noms dont la musique de Dunn m’a laissé des empreintes neurologiques a vie sont certainement celles de :
- Bad dude VS Dragon Ninja (Amstrad CPC) : je fredonne souvent encore le title theme. Incroyable.
- Robocop (Amstrad CPC) : Le main theme est évidemment pire qu’un gros classique!
- Darkman (NES) : OST fabuleuse redécouverte il y a quelques mois, surtout le track »Burned alive »
- Total recall (C64) : OMG !!! gros classique!
- Chase HQ (Amstrad CPC) : Un jeu Top Ten pour moi sur CPC + une musique qui reste et qui reste…
- The Shadow (SNES) : Dunn fait chauffer ses Korg bien comme il faut. Mystique OST.
- Battle Command (Amiga) : les FX étaient hyper aboutis et rendaient bien l’atmosphère des combats
- Batman (Amiga) : adaptation envoutante du début a la fin. Cette OST était la charpente de ce jeu
- Platoon (Amstrad CPC) : gros classique!
- Rambo 3 (C64) : gros classique!
Je ne vais pas rentrer dans des détails trop techniques car il y aurait encore beaucoup de lignes à gratter si je voulais m’éterniser sur le sujet.
Je ne dresserais pas de listes de jeux auquel Dunn a collaboré non plus, car je suis persuadé que celles qu’on peut trouver sur le net restent incomplètes. De plus , il participe a beaucoup de créations sur la NES qui n’ont absolument pas été créditées. On peut retrouver certains crédits assignés a son travail pour la NES au travers des Data ROM, mais sans certitude qu’elles n’aient été travaillées uniquement par lui-même. Beaucoup de jeux se sont « égarés » en somme, et si je devais lister la chose, je préférerais qu’elle soit entière et sans quiproquos. Ce qui est quasiment impossible.
Juste désireux de vous donner envie de redécouvrir le travail formidable de ces compositeurs de l’ombre aux OST enivrantes, nostalgiquement fortes, et qui tenaient une place prépondérante dans la réussite de jeux a cette époque, et par la même occasion, d’aller re-checker ces jeux cités dans cet article, qui resteront dans le patrimoine de ces machines, des Masterpieces d’une valeur impressionnante a tous niveaux.