2080, ou la passion du ChipTune

Si vous lisez ces quelques lignes, c’est probablement que vous faites partie de cette espèce contre-nature mais néanmoins élitiste (lançons-nous des fleurs, c’est le printemps) qui préfère se coller les yeux sur un vieil écran cathodique scintillant que sur une TV LED 4K, avec une manette filaire trop courte dans les mains et une palette de couleurs à l’écran inférieure au nombre d’heures que vous dormirez la nuit où vous aurez enfin acquis votre exemplaire de Symphony of the Night à bon prix. Vous faites donc également partie de cette tranche de la population qui ressent des émotions, de la nostalgie, un bien-être et parfois même une envie de sautiller lorsque arrivent dans vos écoutilles mielleuses les bonnes vieilles sonorités brutales, et même plutôt désagréables acoustiquement parlant, que vous délivraient vos consoles il y a de cela presque 30 ans.

Si vous voulez vous ré-abreuver de ces sonorités MIDI et 8-bits, il ne vous reste qu’à aller écouter les OST de vos anciens classiques sur les sites de streaming, sur des radio spécialisées comme l’excellente NoLife Radioou écouter de nouveau morceaux.

2080 et sa Neo-Geo Pocket visiblement hackée !

Pour cela, allez fouiner du côté des artistes (musique électronique pour la plupart) qui aiment composer à l’aide de ces rythmes basiques mais si particuliers. Certains les synthétisent, d’autres vont « à la source » en utilisant directement nos bonnes vieilles consoles adorées pour composer des créations inédites mais qui auraient très bien pu se trouver en fond sonore d’un boss de votre jeu favori sur MegaDrive.

2080, ce n’est pas une année que vous ne verrez probablement plus de votre vivant, mais le pseudonyme d’un de ces « tisseurs » qui brodent de beaux habits à l’aide de vieux fil. Français mais très souvent en vadrouille, dont sur le sol nippon où il puise beaucoup d’inspiration(s), le DJ aux lunettes XXL et à la barbe aussi fleurie que son crâne ne l’est pas se paye en plus de luxe de créer lui-même ses clips et poser sa voix sur ses morceaux, chose assez rare dans ce domaine. Du coup, on a eu envie de tailler la bavette avec ce passionné d’un passé bien présent.

Interview 2080, le DJ 8-bit touche-à-tout

Retro-Games.fr : Salut 2080 ! On va commencer par la question bateau : quel être de chair et non de pixels se cache derrière ce drôle de pseudonyme ? D’ailleurs, d’où vient ce dernier ?

2080 : Hello ! Je ne me cache pas bien loin, j’ai jamais eu l’impression de camper un rôle avec 2080, mais plutôt de pouvoir laisser libre court à ce que j’aime vraiment, à savoir la pop culture et principalement celle autour du jeu vidéo, les arts numériques, la musique dance et expérimentale, toutes ces choses qui m’ont construites. Le pseudo 2080 c’est un genre de date fictive, un mélange des années 80, d’où je tire mon inspiration tant au niveau musical qu’esthétique, et des années 2000, dans lesquelles je transpose ces influences.

R-G : Depuis combien de temps baignes-tu dans la musique électro ? As-tu toujours fait dans les sonorités ChipTune / 8-bits ou est-ce “récent” ?

Captain Blood, un OVNI vidéoludique visiblement inspirant !

2080 : Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours écouté de la musique électronique et de la musique de jeu vidéo. Mon premier crush musical étant le morceau “Popcorn” de Gershon Kingsley, reprise par Jean-Michel Jarre; je devais avoir trois ou quatre ans. Du coup, en bon digger en culotte courte, j’ai commencé à écouter ce genre de musique, et le jour, où en jouant à Captain Blood sur mon Amstrad, j’ai vu que la musique du générique que j’écoutais en boucle était signée Jean-Michel Jarre, ça a fait tilt dans ma tête. Quand j’ai fait le lien, ça a sonné comme une évidence.

R-G : Tu avais lancé un financement participatif via Kickstarter pour ton premier EP, ElectroChipDiscoPop, qui a été couronné de succès. Penses-tu que le succès des sonorités 8-bits est relatif à l’engouement pour le retrogaming ?

2080 : C’est évident qu’il y a un effet de mode autour du retrogaming, mais c’est une mode qui dure. On se rend compte à quel point ça a influencé notre époque, comme nos Nintendo, nos Sega, nos Atari, ont marqué nos vies avec toute cette créativité. Ceci dit, il y a deux phénomènes pour les domaines artistiques qui s’inspirent du jeu vidéo. Il y a cet effet de mode qui fait qu’une partie du grand public est sensibilisé à ce genre de sonorités, mais il y a aussi une scène qui est présente depuis le début des années 2000 qui pratique la chiptune, et celle-ci n’est pas particulièrement sensible à la mode. Il s’agit d’un mouvement ancré dans une forme de contre-culture, de refus de l’obsolescence, de défis autour d’une tech qu’ils poussent toujours plus loin. Bien entendu, ces deux aspects sont perméables l’un à l’autre et ça donne quelque chose de très riche.

R-G : Ta création ne passe pas que par la musique mais aussi par le visuel, comme on peut l’observer avec le clip très travaillé de My Megadrive. Penses-tu que ces deux univers sont indissociables ? Réalises-tu tes clips avec autant de plaisir que la musique ?

2080 : Ils sont indissociables pour moi parce qu’en même temps que je bidouillais de la musique, je gribouillais des dessins, et j’ai commencé sur ordinateur avant de me mettre au papier. Avant de me consacrer à ma carrière musicale, je me destinais à la bande dessinée, mais c’est la musique qui m’a donné l’occasion de pouvoir vivre de mon art. J’ai une préférence pour la musique parce que je suis plus dans l’immédiateté ; réaliser un clip, c’est un travail de longue haleine, et c’est compliqué pour moi de rester focus sur de longues périodes. Je papillonne beaucoup, tout m’intéresse et tout me prend de l’attention.

R-G : D’ailleurs, tu sais t’allier avec de beaux noms dans les deux domaines : Toxic Avengers côté musical et « Saint » Eric Chahi dans la réalisation… Raconte-nous votre rencontre et comment vous en êtes venu à travailler ensemble ?

2080 : J’ai rencontré Toxic sur Twitter, où on a commencé à converser puis on s’est retrouvé sur le plateau de Game One avec Marcus. Par la suite, il m’a invité à chanter sur le morceau “Let Me Go” de son album “Romance And Cigarettes” et je l’ai convié sur un morceau de mon EP. On partage pas mal de références, je suis ravi de cette collaboration. Eric est vraiment un des artistes que j’admire le plus ; son jeu Another World a été une de mes épiphanies artistiques. Je l’ai rencontré à une conférence à Tokyo, puis on a passé une après midi ensemble à Akihabara. Il a accepté de me prêter le soft qui a servi à faire Another World, m’a invité chez lui pour m’apprendre à l’utiliser, et j’en ai fait les visuels de l’EP Electrochipdiscopop. J’ai aussi commencé un clip depuis plusieurs années mais c’est long et difficile et j’espère en venir à bout un jour. Je n’ai pas abandonné !

R-G : On va tout de même parler un peu Retrogaming quand même… Ton titre “My MegaDrive” signifie-t-il que c’était ta console de prédilection, même si tu composes beaucoup à la Commodore64 ?

2080 : My Megadrive” est vraiment un hommage à cette console et aussi à son chipset son si particulier, le YM2612. Les sonorités très typiques et très arcade lui donnent un caractère reconnaissable entre toutes les autres consoles. C’est vrai que je suis très fan du son du Commodore 64 et de sa puce SID, mais j’ai une histoire plus personnelle avec la Megadrive qui fait que c’est à elle que je voulais chanter mon amour.

Fan de MegaMan, vraiment ? Personne ne s’en doutait… ©2080

R-G : Et niveau jeux de ta jeunesse, le(s)quel(s) t’a (t’ont) créé les plus beaux souvenirs, et pourquoi ?

2080 : Naturellement, je vais parler de Captain Blood, qui m’a énormément marqué dans son inventivité, et aussi de Another World, qui a su me faire oublier que je jouais à un jeu pour me faire vivre une véritable expérience émotionnelle. Sans oublier Shadow Of The Beast et son ambiance horreur surréaliste et sa musique sombre. Coté console, je vais parler Megaman, Super Mario Bros. 3, qui sont des merveilles de gameplay ; Earthbound et ses poses café, qui sont d’une douceur incomparables, des vrais moments de réconfort ; Street Fighter 2, mais aussi le 3, pour les soirées pizza entre copains… Il y en a tellement que je ne pourrai pas tous les citer.

R-G : Fais-nous rêver… As-tu une collection retro à faire pâlir un musée ?

2080 : Je ne crois pas pouvoir réellement faire de l’ombre à beaucoup de collectionneurs. Ma collection est très modeste, comparée à celles de certaines personnes que je connais. J’ai tout de même pas loin de 40 consoles différentes (plutôt pas dégueu la collection, NDLR), mais pas énormément de jeux par console et peu de raretés ; plutôt des jeux que j’aime, auxquels j’ai plaisir à jouer et qui sont des œuvres d’art qui me touchent.

R-G : Petit aparté sur l’actualité : on sait que tu as bossé avec la chaîne NoLife, qui a tiré sa révérence il y a très peu de temps… Tu as versé une petite larme en apprenant cette triste nouvelle qui, on l’imagine, t’affecte ?

2080 : J’ai versé une grosse larme sur Nolife. C’était un véritable îlot pour notre culture, je pouvais me reconnaître dans les animateurs et l’équipe, dans leur intransigeance, leur profond respect des sujets qu’ils traitaient, et dans l’ouverture d’esprit dont ils faisaient preuve. Cet esprit a donné lieu à une représentation de plusieurs minorités qu’on a pas l’habitude de voir à la télévision, comme des personnes transgenres. Ils n’ont jamais réfléchi à la calibration télégénique de leurs intervenants mais se concentraient plutôt sur la pertinence de leurs propos. C’est un honneur pour moi d’avoir pu participer très modestement à ce projet qui a parlé pendant 11 ans de choses qui me touchent, et d’avoir été soutenu comme ils l’ont fait. Je ne les remercierais jamais assez de m’avoir fait découvrir autant d’artistes et rencontrer des gens qui partagent aujourd’hui ma vie.

On veut bien croire 2080 lorsqu’il nous dit qu’il a un peu de matos…

R-G : Tu prépares ardemment ton premier LP; on a droit à savoir si tu nous prépare des surprises (méthode de réalisation inédite, supports, etc…) ?

2080 : Mon studio s’est beaucoup étoffé en machines depuis mon dernier EP, on peut s’attendre à des textures sonores plus riches, mais le plus grand changement a été mon processus créatif. Je me suis exilé à Tokyo à plusieurs reprises pour m’inspirer de l’atmosphère, et sur un carnet, j’ai pris plein de notes, j’ai fouillé les thématiques qui me plaisaient, qu’elles soient des références à la culture pop, à ma vie personnelle, ou même à mes idées politiques, pour en tirer une histoire qui a servi de matériau de base à l’ambiance de cet album. Au cour de cette production, j’ai eu beaucoup d’envies et certaines ne rentraient pas dans ce cadre ; ça donnera lieu à des side projects assez différents de ce que vous connaissez de moi, plus radicaux, qui sont des choses qui avaient besoin de sortir.

R-G : Le style Neo-Retro se fait de plus en plus courant; aimerais-tu bosser sur l’OST et/ou la réalisation de d’avantage de jeux à venir ?

2080 : Ça serait avec un plaisir non dissimulé ! Je suis ouvert aux propositions, vous savez où me trouver, je suis partout sur les internets, Instagram, Twitter, etc.

R-G : Cette interview touche à sa fin; on a été heureux de découvrir d’autres facettes de ton personnage ! Quel est ton calendrier pour les prochains mois ?

2080 : Merci de m’avoir posé ces quelques questions. Je termine une BO pour un documentaire de Rockyrama sur la saga Alien, puis je vais sortir de manière plus régulière des singles jusqu’à la sortie de mon album. Le premier single est sorti de studio, vous devriez en entendre parler d’ici peu. Et il y a aussi le side project dont j’ai parlé plus haut, de la musique expérimentale, noise drone improvisée.

R-G : 2080, merci pour ton temps accordé à Retro-Games.fr et toute la communauté des retrogamers espère entendre parler de toi très bientôt ! 🙂


Si cette interview vous a donnée envie de découvrir le monde de 2080 et surtout son travail, vous pouvez le retrouver sur Facebook, YouTube, Twitter et Soundcloud.

Related posts

Critique : « La légende Dreamcast » aux éditions Pix’n Love

Interview de Gwénaël “Fonzie” Godde, cofondateur de WaterMelon Games

Sortie de Génération Resident Evil, 25 ans de Survival Horror

Ce blog utilise des cookies, parce que c'est vachement bon ! Si tu n'aimes pas, tu n'es pas forcé d'accepter... Mentions légales